Traverser le Pacifique à la voile, c’est se confronter à l’immensité, aux caprices de l’océan et à ses propres limites. Ce voyage de plus de 4000 milles nautiques entre les Marquises et le Panama est un défi technique, logistique et humain.
À bord de Vénus, notre Voilier Baltic de 51 pieds, nous avons réalisé cette navigation en 2021, un périple inoubliable marqué par des apprentissages constants et des moments d’émerveillement.
Voici notre récit enrichi d’informations techniques et d’astuces pour préparer au mieux cette traversée.
Préparer la grande traversée
Se lancer dans une traversée transpacifique demande une préparation méticuleuse et rigoureuse. L’immensité de l’océan Pacifique impose une autosuffisance totale pour affronter les imprévus, qu’ils soient techniques, humains ou météorologiques. Pendant plusieurs semaines, nous avons minutieusement vérifié chaque aspect de notre voilier, afin de garantir que chaque composant était prêt pour ce défi exigeant.
Révisions techniques et entretien
Les systèmes de bord, sollicités en continu durant plus d’un mois, nécessitent une attention minutieuse. Le gréement, par exemple, a été inspecté pour détecter d’éventuelles faiblesses dans les haubans ou les drisses. Ces composants supportent d'importantes tensions et doivent résister à des jours de navigation au près dans des conditions parfois difficiles. Le ragage continu est un point important à considérer, car à la longue, cela peut amener des défaillances. Par exemple notre écoute babord a brisé en pleine nuit à cause du ragage minime causé par 20 jours à travailler contre sa poulie.
Le moteur, même s’il est peu utilisé sur une longue traversée, est un élément de sécurité essentiel. Avant de partir, nous avons effectué une vidange complète, remplacé les filtres à carburant et à huile, et vérifié le système de refroidissement. Les pannes en mer peuvent vite devenir problématiques, c’est pourquoi nous avions à bord des pièces de rechange, comme des courroies, des turbines de pompe à eau et des outils pour effectuer des réparations en autonomie.
L’électronique a également été testée : GPS, radar et feux de navigation.
Un téléphone satellite a complété ce dispositif pour recevoir des bulletins météo détaillés et rester en contact avec des secours potentiels.
Planification des vivres et de l’eau
Pour une traversée estimée à environ 40 jours, l’approvisionnement a demandé des calculs précis.
L’eau potable a été un point crucial. Bien que notre dessalinisateur ait une capacité de 150 litres par heure, nous avons embarqué 270 litres d’eau potable en bidons comme apport supplémentaire. Cette décision s’est révélée salvatrice lorsqu’une fuite (à cause du pommeau de douchette) a vidé nos réservoirs d'eau le premier jour de traversée vers les Marquises.
Pour les vivres, nous avons combiné des aliments secs comme les pâtes, le riz, la mousseline et les légumineuses, avec des conserves (poisson, légumes, fruits). Les produits frais comme les agrumes et les oeufs ont été embarqués en grande quantité, car ils résistent bien à l’humidité et aux températures fluctuantes.
Astuce: Pas besoin de garder les oeufs dans le frigo. Retournez-les chaque 2-3 jours. Lorsque le jaune d'oeuf rentre en contact avec sa coquille l'oeuf périme. Le fait de les retourner va permettre de garder le jaune au centre de l'oeuf (grâce à la gravité).
La pêche en mer a également contribué à notre alimentation, avec des prises régulières de thons et de dorades coryphènes. Ces poissons, préparés immédiatement après leur capture, ont apporté une variété bienvenue aux repas tout en conservant nos stocks pour les jours sans pêche.
Sécurité et équipement de survie
Naviguer sur l’océan ouvert demande une préparation rigoureuse en matière de sécurité.
Le radeau de survie, entretenu et certifié, était prêt à être déployé en cas d’urgence. Chaque membre de l’équipage portait des harnais et des gilets de sauvetage équipés de balises lumineuses et de sifflets, indispensables pour les quarts de nuit. Les lignes de vie installées sur tout le pont nous ont permis de nous déplacer en sécurité, même par gros temps.
La pharmacie à bord a été préparée avec soin, comprenant des traitements pour le mal de mer, des antibiotiques, des pansements et des outils chirurgicaux de base.
En traversée, l’éloignement rend les évacuations médicales presque impossibles, rendant crucial l’autonomie en cas de blessure ou de maladie.
Astuce: Nous avions un médecin qui était atteignable en tout temps sur terre ferme et qui savait exactement ce que nous avions dans notre pharmacie à bord. Nous en avons jamais eu besoin, mais cela va faire une différence lors d'une situation de crise.
Anticiper la navigation et la météo
Pour planifier notre itinéraire, nous avons étudié les pilot charts, qui fournissent des statistiques sur les vents et les courants saisonniers. En partant des Marquises, nous savions que les alizés dominants souffleraient d’est à sud-est, imposant une navigation contre les vents tout au long de la traversée et les courants dans les premières étapes. Notre objectif était de rejoindre une zone de contre-courant proche de l’équateur, où la progression serait plus rapide.
Naviguer dans cette région implique aussi d'effleurer la zone de convergence intertropicale (ITCZ), connue pour ses grains violents et ses calmes plats. Anticiper ces conditions a nécessité de disposer d’un radar pour détecter les zones de pluie et ajuster la voilure en conséquence.
Nous avons également emporté un sextant et des cartes marines papier comme solution de secours, dans le cas improbable d’une panne complète de nos instruments électroniques.
Si une navigation transpacifique peut sembler intimidante, une organisation rigoureuse et des connaissances techniques permettent de transformer ce défi en une aventure inoubliable.
Trace de notre traversée sur Noforeingland
Le départ : Des Marquises au grand large
Après un départ émouvant de Nuku Hiva, dans l’archipel des Marquises, le 29 octobre, nous avons hissé les voiles avec un mélange d’excitation et d’appréhension.
Quitter les Marquises en direction du Panama implique de naviguer contre les vents dominants et les courants, un défi qui demande patience et précision.
La première semaine, nous avons suivi une route légèrement nord-est pour chercher une zone de contre-courant plus favorable. Ce choix stratégique, bien que frustrant à court terme, nous a permis de maintenir une progression raisonnable.
La météo au départ était stable, avec des vents constants de 15 à 20 nœuds d’est-nord-est. Cependant, la mer formée et croisée a rendu les premiers jours éprouvants pour l’équipage, avec un roulis constant rendant les quarts de veille et les tâches quotidiennes plus difficiles.
Ce fut un véritable baptême pour les nouveaux membres d’équipage, qui ont dû s’acclimater rapidement à ce rythme exigeant.
Le passage de l’équateur : Un moment symbolique
Le 5 novembre, après 6 jours de navigation depuis les Marquises, nous avons franchi l’équateur à la position 0°00’S - 136°58’W. Ce passage, attendu avec excitation, est un moment symbolique pour tout marin.
À bord, nous avons célébré avec un gâteau au chocolat improvisé et une offrande à Neptune, selon la tradition maritime.
À ce stade, nous avions parcouru environ 1600 milles nautiques depuis Nuku Hiva, laissant derrière nous les latitudes négatives pour entrer dans l’hémisphère nord.
La route idéale : Trouver le contre-courant
Une fois dans l’hémisphère nord, la clé de la progression était de rester dans une zone de contre-courant générée par la rencontre des courants équatoriaux sud et nord. Elle se situe généralement entre 2° et 6° de latitude nord.
Ce contre-courant, bien que peu large, permettait de gagner jusqu’à un 1-2 noeuds de vitesse, un avantage significatif sur une traversée de cette ampleur.
Cette zone exigeait cependant une vigilance constante. Plus au nord, l’ITCZ offrait des conditions météorologiques chaotiques, tandis que, plus au sud, les vents étaient plus réguliers, mais les courants défavorables.
Trouver le bon équilibre entre ces deux zones était crucial pour optimiser notre route.
La navigation dans l’ITCZ : Entre vents capricieux et grains violents
Pendant certains jours un dilemme se présentait: celui de rester sur le contre-courant tout en effleurant l'ITCZ, ou bien rester dans les alizés mais avoir un courant défavorable de 2-3 noeuds vers l'Ouest.
Nous avons toujours choisi la première option, mais ceci vient avec ses défis.
La zone de convergence intertropicale (ITCZ) est une région située entre 5° et 10° de latitude nord et se forme là où convergent les alizés de l’hémisphère nord et sud. Cette convergence crée une zone d’instabilité, avec des masses d’air chaud et humide qui montent, générant des orages fréquents et des pluies intenses. Les vents peuvent y être faibles ou changeants, parfois ponctués de rafales dépassant les 30 nœuds. À ces perturbations s’ajoutent des grains, ces cellules orageuses localisées qui apportent des vents violents et des précipitations soudaines.
Naviguer dans l’ITCZ exige une vigilance accrue et une grande adaptabilité, tant pour l’équipage que pour le voilier.
Les grains détectés au radar, souvent invisibles à l’œil nu dans l’obscurité de la nuit, nous ont permis d’anticiper les manœuvres. Lorsqu’un grain était inévitable, nous réduisions rapidement la voilure pour éviter les surcharges sur le gréement et assurer la sécurité du bateau. Une fois le grain passé, les voiles étaient rétablies pour profiter des vents souvent faibles qui suivaient.
La vie à bord : Entre routine et émerveillement
La traversée du Pacifique est une immersion totale dans un univers où le temps semble suspendu. Chaque journée s’organisait autour des quarts de veille, des repas et des petites tâches du quotidien. Le voilier ne s’arrête jamais, et chaque membre d’équipage avait un rôle essentiel à jouer.
Les nuits, bien que parfois éprouvantes, offraient aussi des moments magiques : le ciel étoilé, la bioluminescence éclairant les vagues, et les silhouettes des dauphins jouant autour du bateau.
Malgré la monotonie apparente de la mer, chaque jour apportait son lot de surprises, qu’il s’agisse d’une chasse de poissons volant autour du voilier ou d’un thon mordant à l’hameçon. Ces moments, aussi simples soient-ils, rappellent pourquoi tant de marins entreprennent de tels voyages.
L’arrivée au Panama : Une terre promise
Après 31 jours en mer, le 1er décembre, nous avons aperçu l’île rocheuse de Malpelo, annonçant la proximité du continent américain. Le golfe du Panama fut à la fois une récompense et un dernier défi, avec ses courants tourbillonnants et ses zones de vent faible.
Le courant tourne généralement dans le sens antihoraire dans le golfe, avec un courant Sud-Ouest dans la partie Sud du golfe et Nord-Est dans la partie Nord.
Naviguer dans ces eaux exigeait une vigilance accrue, les cargos se faisant de plus en plus nombreux à mesure que nous approchions du canal. Les déchets flottants, malheureusement abondants, offraient un triste contraste avec la beauté sauvage des îles que nous avions traversées.
Enfin, le 3 décembre, les gratte-ciels de Panama City se dessinèrent à l’horizon.
Après 34 jours de navigation et près de 5200 milles nautiques parcourus, nous avons jeté l’ancre avec un mélange de fierté, de soulagement et de nostalgie!
La traversée du Pacifique, entre les Marquises et le Panama, est une aventure qui transcende les mots. Elle exige une préparation minutieuse, une résilience constante et une capacité à s’adapter aux imprévus.
Mais au-delà des défis, ce voyage offre une connexion unique avec l’océan et ses mystères.
Pour ceux qui rêvent de cette aventure, préparez-vous à être surpris. L’océan Pacifique, dans toute sa grandeur, est une école de patience, d’humilité et de gratitude.
Une fois le rivage atteint, vous ne serez plus les mêmes.
À très bientôt!
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